Le mot "marche" est évoqué dans la Chanson de Roland en 1080, selon le Larousse il vient du francique "marka"
signifiant "frontière". Ce terme s'avère dans le sud de la Normandie avoir une définition toute particulière,
il n'est pas employé par les historiens du Duché, néanmoins cette marche existe et elle porte un nom, celui du
doyenné de Moulins-la-Marche qui comprenait 35 paroisses, fermant la limite sud-est du territoire concédé aux
normands par Charles le simple en 911.
Le premier possesseur connu du château de Moulins, un certain Guimond, compagnon d'armes de Guillaume le
conquérant eut à sa charge de défendre la frontière. Le nom de marche s'applique alors pour la Normandie,
du côté du Perche et comprend donc les châtellenies de Moulins, de Bonsmoulins, de Sainte-Scolasse et du
Mêle-sur-Sarthe. La frontière ou marche âprement disputée et défendue est reconnue comme une limite précise
et aussi comme territoire limite.
A ce titre intervient un phénomène important, caractéristique des possessions féodales en zone frontalière,
celui de "l'hommage en marche". Les lieux les plus fréquents des entrevues et des hommages se situent à la
frontière de l'Epte. Ils devinrent de plus en plus nombreux dans les années 1151-1204 avant et après la guerre
entre le duc de Normandie (et roi d'Angleterre) et le roi de France et se localisèrent tout au long de la
Sarthe et de l'Avre.
Aux nombreux châteaux qui défendaient la marche normande, répondent dans le Perche châteaux et mottes
féodales. La singularité de la marche normande réside dans cette fortification linéaire connue sous le nom
de Fossés le Roi.
A l'étude du tracé, en le comparant avec la ligne des forteresses établies et sans faire de géographie très
poussée, le simple observateur constate que les limites du duché, les rivières Sarthe et Avre, sont aisément
franchissables.
Les châteaux les plus remarquables sont situés près des zones de passage privilégié, Sainte-Scolasse sur la
route de Chartres à Sées, Moulins sur la route de Chartres à Vieux, Bonsmoulins sur la ligne de partage des
eaux des bassins de Seine et de Loire, Nonancourt sur la route de Chartres à Condé-sur-Iton etc...
Les zones marécageuses, elles, ne nécessitaient pas de systèmes de défense élaborés car infranchissables par
nature à une armée de cavaliers. Ceci expliquerait les lacunes non imputables à la destruction par l'homme,
observables au long du tracé que nous allons examiner, l'exemple le plus frappant se situant près de la Grande
Trappe vers la source de l'Iton.
Il est établi que c'est Henri II Plantagenêt duc de Normandie et roi d'Angleterre qui a ordonné la construction
de cette fortification venant compléter la ligne de châteaux existants déjà renforcée sous le règne de Henri Ier
Beauclerc.
Selon Robert de Torigny, c'est après l'incendie et la prise de Chennebrun par les troupes de Louis VII en 1168,
que "le roi Henri construisit des fossés hauts et larges entre la France et la Normandie pour se garantir de
l'incursion des brigands".
En réalité leur construction avait débuté plus de sept ans auparavant. La construction proprement dite des
remparts de terre avait été précédée par des donations, voire des expropriations dès 1161.
Compte tenu de leur importance, le creusement du fossé et l'élévation du talus ont nécessité un ou plusieurs
chantiers qui se sont prolongés pendant plusieurs années.
Si le roi de France Louis VII choisit Chennebrun comme place forte à prendre, c'est pour une raison non seulement
symbolique, mais aussi pour une raison militaire évidente. On peut donc supposer qu'en 1168 les remparts de terre
étaient finis, ce qui aurait motivé l'attaque du roi à cet endroit où les Fossés Royaux étaient particulièrement
importants.
Le mode de construction est assez primitif, le travail est réalisé sans l'aide d'échafaudages, le fossé ne pouvait
faire plus de 3m de profondeur, mais on peut imaginer qu'un système de relais pouvait se mettre en place : un
ouvrier pouvant jeter à la pelle à 3 mètres de distance, on établissait (au fond du fossé) trois relais
correspondant à une profondeur de 9 mètres. Ce système permet ainsi de creuser un fossé plus profond que
3 mètres.
Bien évidement le talus réalisé avec la terre du fossé est toujours établi côté Normandie.
Le talus a peut-être été planté d'épineux comme cela se pratiquait autour des mottes féodales, mais rien ne le
prouve.
Prendre la D 251 du Mêle à Coulonges puis au nord de cette route et au-delà du chemin de fer, se rendre à
la Maillardière le tracé suit d'ouest en est la limite de commune, puis parallèlement aux rails à 100 mètres
au nord, se dirige jusqu'au Mortruis. De ce lieu-dit, parallèlement à la D 251, et à 400 mètres au sud-est,
un chemin conduit à la Dannerie, puis de ce lieu vers la Maison-Rouge.
De l'autre côté de la Sarthe sur la route de Bazoches il ne faut pas manquer de visiter la très belle motte
féodale de Longpont.
Au nord de la Maison-Rouge, suivre la haie vers le Fossé Neuf, traverser la route de Bures et continuer
parallèlement près de la Rabouine. Au croisement avec la route d'accès au moulin de Pluviers, s'étalent de part
et d'autres, de beaux vestiges de fossés et talus, dont une partie des fossés en eau, peu profonds mais assez
larges. À partir de ce point continuer vers le nord-ouest vers le Bois-Fouquet.
Le tracé probable se dirige vers le nord-ouest pour passer à la Haie puis à Falendrin près du bourg de
Sainte-Scolasse. De cet endroit la route se dirige vers le nord par la ferme Fossé Leroi pour atteindre la
cote 184 sur la route du moulin du Chêne (appelée localement route de Sées).
Continuer dans la même direction vers la Robichière, éviter cette ferme, puis à travers près il faut suivre
en ligne droite, les haies jusqu'aux Noës Gates.
Le tracé suit le chemin d'accès à la ferme des Noës Gates vers la D 6, puis cette route sur 1 km par le Jouet,
franchit le ruisseau de Loisellière et pénètre dans les bois de Saint-Agnan, un peu au sud du Petit Jouet.
Avant de s'engager dans les bois un petit détour dans le Perche, sur l'autre rive de la Sarthe, près de
l'ancien village de Saint-Etienne-sur-Sarthe permet de découvrir la motte féodale du Châtel.
Du petit Jouet, grimper à travers bois vers le nord-est jusqu'à la route reliant le bourg de Saint-Agnan
à la Mairie du village, les fossés et talus sont très visibles et faciles à suivre toujours dans la même
direction et leur tracé est rectiligne sur plus de 3 km, avec des vestiges plus ou moins apparents.
Ils passent par la Haie Volée, la Barre, la Bretonnière où ils s'inclinent vers l'est pour pénétrer dans
le bois de Bel Erable près de la ferme du même nom. A l'entrée, puis dans le bois, le talus est très imposant
et le fossé bien conservé; le tracé franchit le ruisseau des Fontaines et la D 6 près du moulin Darouel
( moulin du Roi ? ) et se dirige ensuite parallèlement à la Sarthe à mi-cote. Il traverse la D 932
( Moulins/Mortagne ) à une centaine de mètres au-dessus de la Tannerie, passe au sud de la Bachelerie où
d'importants vestiges étaient encore très visibles vers 1955 mais qui ont été détruits depuis.
A Moulins-la-Marche ne pas manquer de grimper sur la Butte, c'est un monticule naturel qui a été aménagé
dès le 11ème siècle pour supporter un imposant château fort. Il n'en reste aucun vestige et le sommet a été
aplani à la Révolution pour y entraîner la Garde Nationale.
Du côté est de la butte, la grosse tour du château est citée au 13ème siècle pour localiser un terrain situé
juste au-dessous, près du Prieuré. Par beau temps le panorama est splendide, selon la légende il est possible
d'apercevoir les clochers de la cathédrale de Chartres.
A partir de la Bachelerie, le tracé des Fossés le Roi remonte légèrement vers le nord en suivant les courbes
de niveau, il croise la D 32 puis passe derrière la Potinière pour s'incurver à 90° vers le sud-est en suivant
le chemin qui mène à Saint-Aquilin-de-Corbion. Il suit alors la route qui mène à ce village, et la quitte à
droite au niveau du Faubourg près de la résurgence de la Sarthe, pour suivre la limite de commune jusqu'aux
Marnières, au nord de Somsarthe, près du Clos Guénot.
A 2 km au sud, une nouvelle incursion dans le Perche permet de découvrir, au milieu du bourg sur la hauteur,
la motte féodale de Soligny.
De même au nord à 2 km, en Normandie cette fois, une belle promenade romantique révèle les vestiges du
château de Bonsmoulins dans l'enceinte duquel tout le village du même nom, a été construit avec probablement
ses pierres.
La première partie du tracé est difficile à localiser. En l'absence de vestiges assurés il faut admettre de
suivre les limites des communes. En effet après le rattachement définitif de la Normandie à la France, les
Fossés le Roi ont perdu tout intérêt militaire, ils n'en demeurent pas moins un obstacle que le temps et
les hommes ont eu bien du mal à effacer et ont donc fait office de limites.
Il faut se rendre de la cote 260 vers la ferme de la Bellaillerie puis suivre le lit du ruisseau de Neuille-Souris
qui occupe peut-être le fossé jusqu'à sa rencontre avec l'Iton (cote 229), traverser l'Itonne venant des étangs
de la Trappe au sud du Creux de l'Ours. Le tracé file ensuite droit au nord par la Piquenoterie, La Huloterie
pour atteindre les Genettes. À l'est du croisement de routes près du bourg, les fossés présentent
certainement leur partie la mieux conservée.
De ce point sur presque 6 km suivre le tracé pratiquement rectiligne de la fortification qui passe à l'ouest des
Patichées, traverse la D 930 (L'Aigle/Mortagne) à la cote 247. Elle se présente sous la forme de haies, de fossés,
de talus puis suit un sentier de terre depuis la Campagne des Boulayes, par la Campagne des Ardillières, prend une
direction ouest-est à la Campagne des Fossés vers la Brosse en traversant la Campagne des Petits Plants.
Près de l’ancien bourg de Saint-Martin-d'Aspres (actuellement rattaché à celui de Notre-Dame-d’Aspres, pour former
Les Aspres), le Vieux château témoigne d'une ancienne forteresse normande, tandis que sur le plateau, le Châtelet
correspond à un château percheron.
La suite du tracé présente une lacune d'environ 3 km. La toponymie nous oriente vers un passage par les lieux-dits
de la Futelaye, Lessard, le Buisson avant de croiser la D 918 (L'Aigle/Longny) à la cote 239 près du château d'eau.
De ce point ne pas manquer d'examiner la motte féodale de Chauvigny, cachée par les arbres près de la ferme du même
nom; peu connus ces vestiges sont remarquables.
Le tracé se poursuit par la route d'Irai, qu'il quitte rapidement pour un chemin de terre en obliquant vers le
sud-est par la Margeardière, puis la Haie de la Croix et la Marinetterie, dans le bois le talus réapparaît haut de
4 à 5m avec un fossé de 5m de large; ils se dirigent vers la Guivière et le bourg d'Irai.
Derrière l'église les traces réapparaissent et suivent l'Avre, en talus et fossé à Champhubert et en face et à
partir de la Trinité en fossés et talus sans interruption sur 4 km jusqu'au Breuil en passant par Beaulieu, cette
partie est particulièrement bien conservée et aisée à suivre.
A partir du Bas Breuil le tracé suit la route D 78 qu'il quitte vers la cote 199 en direction du cimetière
de Chennebrun, il suit la courbe de niveau 200, passe dans le parc du château pour se diriger vers le sud de
la Rairie et atteindre le bois de Saint-Christophe à la Vallée des Hébreux. Il passe ensuite entre le bourg de
Saint-Christophe-sur-Avre et le Genetay. Une belle portion est bien conservée à cet endroit que l'on peut suivre
jusqu'aux Bois Francs parallèlement au chemin Perrey, ancienne voie romaine conduisant à Conches.
Un peu avant le château des Bois Francs, le tracé coupe la voie romaine pour se diriger vers l'est vers
la Fauvellière, au sud de la clairière des Hayes le Roi, puis vers Chalvigny pour venir croiser la RN 12 près de
la Chabotière où il y a de belles traces, le talus dominant de 4 à 5 mètres et le fossé étant large de 3 à 4 mètres.
Le tracé se rapproche de l'Avre qu'il suit jusqu'à la Fainéanterie en passant devant la tour Grise puis à Balines.
Le talus passe au sud de la Fainéanterie, haut de 2 à 3 mètres le long de la D 54 pour être plus évident dans
le parc devant les Maisons Rouges.
Le Fossé le Roi réapparaît ensuite devant la motte de Courteilles, au sud-ouest de l'ancien château du duc de
Richelieu sous la forme d'une crête anormale dans le champ très visible en période de labour. Un peu plus loin,
le talus est visible de la route allant à la Haye-Rault, après la cote 138 il passe à Chevrémont et aux Boissières
puis se dirige vers Tillières-sur-Avre. Après cette ville, où subsistent quelques pans de murs du château ducal,
le tracé incertain traverse les Quatre Maisons puis la Haie Bigault, quelques traces de talus sont visibles le long
de l'ancienne route du Mans.
Le tracé, de plus en plus incertain, suit l'Avre au pied de la Côte du Moulin après avoir traversé Acon, il
s'éloigne à nouveau de la rivière en face du Plessis-sur-Dampierre, forteresse française sur l'autre rive,
et remonte au nord-est en direction des Carrières.
A Bellegarde quelques traces apparaissent à nouveau ainsi qu'à la Morinière et à Nonancourt. La photo aérienne
est précieuse dans ces zones où l'agriculture a effacé les traces au sol.
A ne pas manquer sur l'autre rive de l'Avre, le site du Plessis-Saint-Rémy et son "vieux château".
Le tracé est toujours aussi incertain il passe au sud du Ruet, puis à Monthuley en Normandie, les Forges, au sud
du village de Mesnil-sur-l'Estrée, au Mesnil Bas, au pied des côtes de l'Estrée en suivant le cours de l'Avre,
puis bifurque vers le nord à mi-hauteur du versant normand près du hameau "le Fossé le Roi" c'est à cet endroit
que se situe le dernier tronçon de talus et de fossé. Au-delà vers Saint-Georges-Motel il n'y a plus de traces.
Le tracé que nous venons de suivre représente une distance de 105 km.
Le volume de terre extrait du fossé et qui a été utilisée à construire le talus atteint le chiffre impressionnant
de l'ordre de 1,5 millions de m3 heureusement pour les ouvriers de l'époque le matériau était utilisé sur place,
il n'y a pas eu de transport.
Nous avons vu tout au long du parcourt que la nature et surtout l'homme ont petit à petit détruit ce travail
titanesque.
Les zones couvertes de forets ont été les plus épargnées, c'est là que les vestiges les mieux conservés sont
encore visibles.
Longtemps la fortification a été préservée; son usage militaire qu'elle a perdu dès le début du 13ème siècle s'est
transformé en usage civil, elle est devenue limite de propriétés; il n'était certes pas facile de supprimer une
telle "clôture".
Le 20ème siècle a été plus destructeur que les 7 précédents, l'agriculteur dispose aujourd'hui de machines
puissantes qui lui épargnent la sueur qu'ont versé ses ancêtres lorsqu'ils ont construit cette ligne de défense.
La destruction d'un tel monument ne se justifie plus, que valent quelques mètres carrés de terres de remblais ?
Pourtant en l'an 2000 un propriétaire avec sa pelle mécanique a encore fait disparaître quelques dizaines de mètres
de ce monument entre les Genettes et les Aspres.
Cette monographie a été établie d'après mes observations personnelles faites sur le terrain en 1978, complétées par
l'étude très détaillée, effectuée par Monsieur Denis Leplat pour son mémoire de maîtrise d'histoire médiévale en 1992
à l'Université de Rouen.
Bouxières-aux-Chênes, janvier 2002.
Bernard Jouaux.